Face à la récurrence et à l’ampleur des derniers chocs qui ont frappé la France: crise économique, crise pandémique, changement climatique, crise géopolitique, crise énergétique, etc., les experts penchent pour l’apparition d’un autre cycle économique. Du moins, c’est ce qui est ressorti de l’analyse faite par Olivier Garnier de la DGSEI (Banque de France).
Le constat est que dans la plupart des pays avec une économie avancée, l’inflation côtoie ses plus fortes valeurs depuis 1980. Mais la situation actuelle peut finalement aboutir sur la création d’un nouveau régime ou le cycle d’inflation, complètement différent de ceux auxquels nous avons été confrontés dans le passé.
Tout d’abord, nous avons connu le régime de « Grande Modération » entre 1980 et la crise de 2008. D’après les analystes, ce régime est le résultat de la combinaison de « bonne fortune » et de « bonnes politiques » qui au final n’avait rien d’inopiné. Car elle résultait en effet, de plusieurs changements structurels et géopolitiques qui ont favorisé une production mondiale abondante et élastique servant d’amortisseur puissant pour d’éventuels chocs. À partir de là, la guerre froide ou encore la chute du mur de Berlin ont donné naissance à une ère géopolitique très stable et ont accéléré la mondialisation. D’ailleurs, c’est pour cette raison qu’à l’époque les gens croyaient que la fin d’un cycle économique marquait également la fin d’une période historique.
Avec l’avènement et l’évolution des TIC, plusieurs chaînes d’approvisionnement mondiales ont vu le jour, ainsi que la gestion de la production (arrivée juste à temps). Tous deux ont limité l’impact des fluctuations des stocks dans les changements économiques. Aussi, la main-d’œuvre mondiale a littéralement doublé grâce à l’intégration des anciens pays communistes et de l’Inde au sein du commerce international avec la Chine.
Il faut aussi ajouter que l’évolution du champ de la politique macroéconomique a participé à la réduction de la volatilité des prix et de l’activité.
France : hors commerce extérieur, le PIB a chuté de 0,4 % au quatrième trimestre 2022 et l’inflation est repartie à la hausse à 6 % en janvier 2023 (7 % aux normes européennes).
— Marc Touati (@MarcTouati) January 31, 2023
A l’évidence, il n’y a pas de quoi pavoiser…#France #croissance #inflation pic.twitter.com/tSxHB1CcTY
Parlant de la politique monétaire, le ciblage ainsi que l’indépendance du concept d’inflation (environ 2%) étaient désormais la nouvelle norme. Les différentes politiques budgétaires adoptées par l’État ont été entourées de règles bien que ces dernières n’ont pas vraiment été respectées.
Olivier Garnier, directeur général des statistiques, des études et de l’international à la Banque de France, explique qu’en dehors de la répétition et de l’ampleur des crises à laquelle la France est soumise, les modalités structurelles qui favorisaient l’offre s’inversent aussi progressivement.
En réalité, l’avènement de la crise de 2008 ainsi que la dette publique des états de l’Union européenne qui s’est étendue de 2010 à 2012, n’a pas vraiment marqué une rupture d’avec le régime de « Grande Modération ». Il s’agissait plutôt d’une répercussion de ce qu’on appelle le « paradoxe de la tranquillité ».
Avant l’année2007, les gens avaient une croyance aveugle dans les capacités du système à s’autostabiliser et dans l’absence du risque. Cette confiance abusive a entraîné une forte dérèglementation dans le secteur des finances et un excès d’effet levier au niveau de l’endettement.
Par ailleurs, en plus de la situation décrite ci-dessus, les dix années passées en sous-inflation (moins de 2%) avant 2010 ont persisté. Dans le monde, les indicateurs favorables à l’offre sont aussi restés inchangés. Après les crises donc, toutes les évolutions enregistrées se sont faites au niveau de la demande. On note alors un excès de l’épargne comparativement à l’investissement et un penchant accrut pour l’utilisation de l’argent liquide. La conséquence de ce phénomène était que les politiques monétaires n’arrivaient pas à venir à bout des pressions déflationnistes et à ramener l’inflation à 2% en même temps que le taux d’intérêt à l’équilibre se rapprochait de zéro jusqu’à côtoyer des valeurs négatives.
Mais avec la situation que nous vivons actuellement, on peut clairement observer les premiers symptômes d’une rupture, du moins du côté de l’offre.
Comme l’a dit Olivier Garnier, les modalités structurelles qui favorisent l’offre s’inversent comme le témoigne la fragmentation des échanges mondiaux, et privilégient la sécurité au détriment de l’efficacité.
Par ailleurs, les changements climatiques causent des chocs plus récurrents et qui possèdent des conséquences économiquement préjudiciables. Malheureusement, toutes les politiques de transition énergétique vont d’abord être dommageables pour l’offre en particulier si elles sont appliquées de façon désordonnée et tardive. Pour finir, il y a des chances que dans la durée, la démographie conduise à la raréfaction de la main-d’œuvre.
Toutefois, il reste une inconnue sur laquelle on pourrait parier, mais qui jusqu’ici se fait attendre. Il s’agit de l’impact de la digitalisation sur les indicateurs de productivité.
En ce qui concerne la demande, la rupture observée est moins prononcée. De fait, le risque d’inflation de ce côté-là est réduit. Les déséquilibres financiers et les précautions prises pour contenir la volatilité accrue vont continuer à alimenter l’excès d’épargne dans le monde. Néanmoins, les divers investissements pour venir à bout des déséquilibres environnementaux peuvent changer la donne.
Olivier Garnier explique que les banques centrales devraient s’attendre à faire face à nouveau régime d’inflation très volatile.
Il est possible de revenir à la stagflation seulement sous deux conditions. La première est l’adoption de politiques qui font la promotion de l’offre tout en comptant sur le succès des transitions écologiques et numériques. La seconde condition est l’adoption de politiques monétaires complètement indépendantes pour réduire le risque que l’inflation continue de côtoyer des valeurs élevées.
Mais alors, va-t-on assister à la naissance d’un nouveau cycle d’inflation ? Les ruptures observées actuellement au niveau mondial, que ce soit dans le domaine géopolitique, énergétique, climatique ou démographique, sont toutes favorables à l’avènement d’un nouveau régime. Mais, cela va dépendre des politiques adoptées en matière d’économie mondiale.
Comme mentionnés ci-dessus, les banques doivent s’attendre à ce que l’inflation soit plus volatile. Mais, cela ne veut pas dire que l’objectif de l’inflation stable à 2% ne peut être atteint. Au regard des divergences des forces en présence, on peut dire que les banques centrales ont à leur disposition une large gamme d’instruments exploitables.